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LE PORTRAIT

— Je ne l’ai jamais connue, murmura-t-il, je n’ai jamais entendu parler d’elle, vous êtes fou…

— Vous feriez mieux de confesser votre péché, car aussi vrai que je suis James Vane, vous allez mourir !

Le moment était terrible !… Dorian ne savait que faire, que dire !…

— À genoux ! cria l’homme. Vous avez encore une minute pour vous confesser, pas plus. Je pars demain pour les Indes et je dois d’abord régler cela… Une minute ! Pas plus !…

Les bras de Dorian retombèrent. Paralysé de terreur, il ne pouvait penser… Soudain, une ardente espérance lui traversa l’esprit !…

— Arrêtez ! cria-t-il. Il y a combien de temps que votre sœur est morte ? Vite, dites-moi !…

— Dix huit ans, dit l’homme. Pourquoi cette question ? Le temps n’y fait rien…

— Dix-huit ans, répondit Dorian Gray, avec un rire triomphant… Dix-huit ans ! Conduisez-moi sous une lanterne et voyez mon visage !…

James Vane hésita un moment, ne comprenant pas ce que cela voulait dire, puis il saisit Dorian Gray et le tira hors de l’arcade…

Bien que la lumière de la lanterne fut indécise et vacillante, elle suffit cependant à lui montrer, lui sembla-t-il, l’erreur effroyable dans laquelle il était tombé, car la face de l’homme qu’il allait tuer avait toute la fraîcheur de l’adolescence et la pureté sans tache de la jeunesse. Il paraissait avoir un peu plus de vingt ans, à peine plus ; il ne devait guère être plus vieux que sa sœur, lorsqu’il la quitta, il y avait tant d’années… Il devenait évident que ce n’était pas l’homme qui avait détruit sa vie…

Il le lâcha, et recula…