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XV


Ce soir-là, à huit heures trente, exquisément vêtu, la boutonnière ornée d’un gros bouquet de violettes de Parme Dorian Gray était introduit dans le salon de lady Narborough par des domestiques inclinés.

Les veines de ses tempes palpitaient fébrilement et il était dans un état de sauvage excitation, mais l’élégante révérence qu’il eut vers la main de la maîtresse de la maison fut aussi aisée et aussi gracieuse qu’à l’ordinaire. Peut-être n’est-on jamais plus à l’aise que lorsqu’on a quelque comédie à jouer. Certes, aucun de ceux qui virent Dorian Gray ce soir-là, n’eût pu imaginer qu’il venait de traverser un drame aussi horrible qu’aucun drame de notre époque. Ces doigts délicats ne pouvaient avoir tenu le couteau d’un assassin, ni ces lèvres souriantes blasphémé Dieu. Malgré lui il s’étonnait du calme de son esprit et pour un moment il ressentit profondément le terrible plaisir d’avoir une vie double.

C’était une réunion intime, bientôt transformée en confusion par lady Narborough, femme très intelligente dont lord Henry parlait comme d’une femme qui avait gardé de beaux restes d’une remarquable laideur. Elle