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LE PORTRAIT

finissable sentiment de haine contre Basil Hallward s’empara de lui, comme s’il lui était suggéré par cette figure peinte sur la toile, soufflé dans son oreille par ces lèvres grimaçantes… Les sauvages instincts d’une bête traquée s’éveillaient en lui et il détesta cet homme assis à cette table plus qu’aucune chose dans sa vie !…

Il regarda farouchement autour de lui… Un objet brillait sur le coffre peint en face de lui. Son œil s’y arrêta. Il se rappela ce que c’était : un couteau qu’il avait monté, quelques jours avant pour couper une corde et qu’il avait oublié de remporter. Il s’avança doucement, passant près d’Hallward. Arrivé derrière celui-ci, il prit le couteau et se retourna… Hallward fit un mouvement comme pour se lever de son fauteuil… Dorian bondit sur lui, lui enfonça le couteau derrière l’oreille, tranchant la carotide, écrasant la tête contre la table et frappant à coups furieux…

Il y eut un gémissement étouffé et l’horrible bruit du sang dans la gorge. Trois fois les deux bras s’élevèrent convulsivement, agitant grotesquement dans le vide deux mains aux doigts crispés… Il frappa deux fois encore, mais l’homme ne bougea plus. Quelque chose commença à ruisseler par terre. Il s’arrêta un instant appuyant toujours sur la tête… Puis il jeta le couteau sur la table et écouta.

Il n’entendit rien qu’un bruit de gouttelettes tombant doucement sur le tapis usé. Il ouvrit la porte et sortit sur le palier. La maison était absolument tranquille. Il n’y avait personne. Quelques instants, il resta penché sur la rampe cherchant à percer l’obscurité profonde et silencieuse du vide. Puis il ôta la clef de la serrure, rentra et s’enferma dans la chambre…

L’homme était toujours assis dans le fauteuil, gisant