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DE DORIAN GRAY

encore merveilleux à lire, ces fastes luxueux des temps abolis !

Puis il tourna son attention vers les broderies, les tapisseries, qui tenaient lieu de fresques dans les salles glacées des nations du Nord. Comme il s’absorbait dans ce sujet — il avait toujours eu une extraordinaire faculté d’absorber totalement son esprit dans quoi qu’il entreprît — il s’assombrit à la pensée de la ruine que le temps apportait sur les belles et prestigieuses choses. Lui, toutefois, y avait échappé…

Les étés succédaient aux étés, et les jonquilles jaunes avaient fleuri et étaient mortes bien des fois, et des nuits d’horreur répétaient l’histoire de leur honte, et lui n’avait pas changé !… Nul hiver n’abîma sa face, ne ternit sa pureté florale. Quelle différence avec les choses matérielles ! Où étaient-elles maintenant ?

Où était la belle robe couleur de crocus, pour laquelle les dieux avaient combattu les géants, que de brunes filles avaient tissé pour le plaisir d’Athénée ?… Où, l’énorme velarium que Néron avait tendu devant le Colisée de Rome, cette voile titanesque de pourpre sur laquelle étaient représentés les cieux étoilés et Apollon conduisant son quadrige de blancs coursiers aux rênes d’or ?…

Il s’attardait à regarder les curieuses nappes apportées pour le Prêtre du Soleil, sur lesquelles étaient déposées toutes les friandises et les viandes dont on avait besoin pour les fêtes, le drap mortuaire du roi Chilpéric brodé de trois cents abeilles d’or, les robes fantastiques qui excitèrent l’indignation de l’évêque de Pont, où étaient représentés « des lions, des panthères, des ours, des dogues, des forêts, des rochers, des chasseurs, en un mot tout ce qu’un peintre peut copier dans