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merveilleux jeune homme, demanda l’ami. Je sais qu’elle a la marotte de donner un précis rapide de chacun de ses invités. Je me souviens qu’elle me présenta une fois à un apoplectique et truculent gentleman, couvert d’ordres et de rubans, et sur lui me souffla à l’oreille, sur un mode tragique, les plus abasourdissants détails, qui durent être perçus de chaque personne alors dans le salon. Cela me mit en fuite ; j’aime connaître les gens par moi-même… Lady Brandon traite exactement ses invités comme un commissaire-priseur ses marchandises. Elle explique les manies et coutumes de chacun, mais oublie naturellement tout ce qui pourrait vous intéresser au personnage.

— Pauvre lady Brandon ! Vous êtes dur pour elle, observa nonchalamment Hallward.

— Mon cher ami, elle essaya de fonder un salon et elle ne réussit qu’à ouvrir un restaurant. Comment pourrais-je l’admirer ?… Mais, dites-moi, que vous confia-t-elle sur M. Dorian Gray ?

— Oh ! quelque chose de très vague dans ce genre : « Charmant garçon ! Sa pauvre chère mère et moi, étions inséparables. Tout à fait oublié ce qu’il fait, ou plutôt, je crains… qu’il ne fasse rien ! Ah ! si, il joue du piano… Ne serait-ce pas plutôt du violon, mon cher M. Gray ? »

Nous ne pûmes tous deux nous empêcher de rire et du coup nous devînmes amis.

— L’hilarité n’est pas du tout un mauvais commencement d’amitié, et c’est loin d’en être une mauvaise fin, dit le jeune lord en cueillant une autre marguerite.

Hallward secoua la tête….

— Vous ne pouvez comprendre, Harry, murmura-t-il, quelle sorte d’amitié ou quelle sorte de haine cela