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DE DORIAN GRAY

Elle se releva, et une expression pitoyable de douleur sur la figure, elle traversa le foyer et vint vers lui. Elle mit la main sur son bras et le regarda dans les yeux. Il l’éloigna…

— Ne me touchez pas, cria-t-il.

Elle poussa un gémissement triste, et s’écroulant à ses pieds, elle resta sans mouvement, comme une fleur piétinée.

— Dorian, Dorian, ne m’abandonnez pas, souffla-t-elle. Je suis désolée d’avoir si mal joué ; je pensais à vous tout le temps ; mais j’essaierai… oui, j’essaierai… Cela me vint si vite, cet amour pour vous… Je pense que je l’eusse toujours ignoré si vous ne m’aviez pas embrassé… Si nous ne nous étions pas embrassés… Embrasse-moi encore, mon amour… Ne t’en va pas ! Je ne pourrais le supporter ! Oh ! ne t’en va pas !… Mon frère… Non, ça ne fait rien ! Il ne voulait pas dire cela… il plaisantait !… Mais vous, pouvez-vous m’oublier à cause de ce soir ? Je veux tant travailler et essayer de faire des progrès. Ne me sois pas cruel parce que je t’aime mieux que tout au monde ! Après tout, c’est la seule fois que je t’ai déplu… Tu as raison. Dorian… J’aurais dû me montrer mieux qu’une artiste… C’était fou de ma part… et cependant, je n’ai pu faire autrement… Oh ! ne me quitte pas ! ne m’abandonne pas !…

Une rafale de sanglots passionnés la courba… Elle s’écrasa sur le plancher comme une chose blessée. Dorian Gray la regardait à terre, ses lèvres fines retroussées en un suprême dédain. Il y a toujours quelque chose de ridicule dans les émotions des personnes que l’on a cessé d’aimer ; Sibyl Vane lui semblait absurdement mélodramatique. Ses larmes et ses sanglots l’ennuyaient…