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DE DORIAN GRAY

Ses gestes étaient absurdement artificiels. Elle emphatisait au-delà des limites permises ce qu’elle avait à dire. Le beau passage

Thou knowest the mask of night is on my face,
Else would a maiden blush bepaint my cheek
For that which thou hast heard me speak to-night…[1]


fut déclamé avec la pitoyable précision d’une écolière instruite dans la récitation par un professeur de deuxième ordre. Quand elle s’inclina sur le balcon et qu’elle eut à dire les admirables vers :

––––––––––––––––––––Although I joy in thee,
I have no joy of this contract to-night :
It is too rash, too unadvised, too sudden ;
Too like the lightning, which doth cease to be
Eve one can say : « It lightens ! » Sweet, good-night !
This bud of love by Summer’s ripening breath
May prove a beauteous flower when next we meet…[2]


Elle les dit comme s’ils ne comportaient pour elle aucune espèce de signification ; ce n’était pas nervosité, bien au contraire ; elle paraissait absolument consciente de ce qu’elle faisait. C’était simplement du mauvais art ; l’échec était parfait.


  1. Tu sais que le masque de la nuit est sur mon visage,
    ––Sans cela tu verrais une virginale rougeur colorer ma joue
    Quand je songe aux paroles que tu m’as entendu dire cette nuit…

  2. ––––––––––––––––––––Quoique tu fasses ma joie,
    Je ne puis goûter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement :
    Il est trop brusque, trop imprévu, trop soudain,
    Trop semblable à l’éclair qui a cessé d’être
    Avant qu’on ait pu dire : « Il brille ! Doux ami, bonne nuit !
    Ce bouton d’amour, mûri par l’haleine de l’été
    Pourra devenir une belle fleur, à notre prochaine entrevue…