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LE PORTRAIT

dis mes lèvres. Nous nous embrassâmes. Je ne puis vous rapporter ce qu’alors je ressentis. Il me sembla que toute ma vie était centralisée dans un point de joie couleur de rose. Elle fut prise d’un tremblement et vacillait comme un blanc narcisse ; elle tomba à mes genoux et me baisa les mains… Je sens que je ne devrais vous dire cela, mais je ne puis m’en empêcher. Naturellement notre engagement est un secret ; elle ne l’a même pas dit à sa mère. Je ne sais pas ce que diront mes tuteurs ; lord Radley sera certainement furieux. Ça m’est égal ! J’aurai ma majorité avant un an et je ferai ce qu’il me plaira. J’ai eu raison, n’est-ce pas, Basil, de prendre mon amour dans la poésie et de trouver ma femme dans les drames de Shakespeare. Les lèvres auxquelles Shakespeare apprit à parler ont soufflé leur secret à mon oreille. J’ai eu les bras de Rosalinde autour de mon cou et Juliette m’a embrassé sur la bouche.

— Oui, Dorian, je crois que vous avez eu raison, dit Hallward lentement.

— L’avez-vous vue aujourd’hui ? demanda lord Henry.

Dorian Gray secoua la tête.

— Je l’ai laissée dans la forêt d’Ardennes, je la retrouverai dans un verger à Vérone.

Lord Henry sirotait son champagne d’un air méditatif.

— À quel moment exact avez-vous prononcé le mot mariage, Dorian ? Et que vous répondit-elle ?… Peut-être l’avez-vous oublié !…

— Mon cher Harry, je n’ai pas traité cela comme une affaire, et je ne lui ai fait aucune proposition formelle. Je lui dis que je l’aimais, et elle me répondit