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de tact littéraire et de flair artistique au point de croire que la majesté de Virgile pouvait être rendue par la manière carillonnante de Marmion, et bien qu’Énée tienne beaucoup plus du chevalier médiéval que du coureur de brousse, il s’en faut de beaucoup que la traduction de M. Morris lui-même soit parfaite.

Certes, quand on la compare à la mauvaise ballade du Professeur Conington, c’est de l’or à côté du cuivre.

Si on la regarde simplement comme un poème, elle offre de nobles et durables traits de beauté, de mélodie et de force ; mais elle ne nous fait guère comprendre comment l’Énéide est l’épopée littéraire d’un siècle littéraire.

Elle tient plus d’Homère que de Virgile, et le lecteur ordinaire ne se douterait guère, d’après le rythme égal et entraînant de ses vers, à l’allure si vive, que Virgile était un artiste ayant conscience de lui-même, le poète-lauréat d’une cour cultivée.

L’Énéide est, par rapport à l’Iliade, à peu près ce que sont les Idylles du Roi à côté des vieux romans celtiques d’Arthur.

Elle est de même pleine de modernismes bien tournés, de charmants échos littéraires, de tableaux agréables et délicats.

De même que Lord Tennyson aime l’Angleterre, Virgile aimait Rome : les grands spectacles de l’histoire et la pourpre de l’empire sont également chers aux deux poètes, mais ni l’un ni l’autre n’a la grandiose simplicité, ou la large humanité des chanteurs primitifs, et comme héros, Énée est manqué non moins qu’Arthur.