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chacun gardait ses vertus pour soi, personne ne se mêlait des affaires d’autrui.

On passait sa vie simplement, paisiblement, et on se contentait de la nourriture et des vêtements qu’on pouvait se procurer.

On s’apercevait d’un district à l’autre ; « on entendait dans l’un les chiens et les coqs de l’autre, » et pourtant les gens vieillissaient et mouraient sans jamais échanger de visites.

On ne jasait pas à propos de gens malins, on n’avait point d’éloges pour des gens honnêtes.

Le sentiment intolérable de l’obligation était inconnu ; les actes de l’espèce humaine ne laissaient aucune trace, et ses affaires ne devenaient point une rengaine que transmettent à la postérité d’imbéciles historiens.

Ce fut un jour fâcheux que celui où apparut le Philanthrope, apportant avec lui la malfaisante idée du Gouvernement :

« C’est une certaine chose, dit Chuang-Tzù, que de laisser l’espèce humaine tranquille ; il n’a jamais rien existé qui consiste à gouverner l’espèce humaine. »

Tous les genres de gouvernement sont mauvais.

Ils sont anti-scientifiques, parce qu’ils cherchent à modifier l’entourage naturel de l’homme.

Ils sont immoraux, parce qu’en intervenant chez l’individu, ils produisent la forme la plus agressive de l’égotisme.

Ils sont ignorants, parce qu’ils s’efforcent de répandre l’éducation.