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nom de ce grand penseur familier au grand public, mais dans l’intérêt du petit nombre et des gens ultra-cultivés, je sens qu’il est de mon devoir de dire exactement qui il était et de donner une brève esquisse de ce qui caractérise sa philosophie.

Chuang-Tzù, dont il faut avoir bien soin d’écrire le nom, autrement qu’il ne se prononce, naquit dans le quatrième siècle avant Jésus-Christ, sur les bords du Fleuve Jaune, dans le Pays Fleuri, et l’on peut trouver encore de nos jours, sur les simples plateaux à thé et les modestes écrans de nos plus respectables intérieurs de la banlieue, des portraits de cet admirable sage assis sur le dragon volant de la contemplation.

L’honnête contribuable et sa florissante famille se sont certainement égayés maintes fois du front en forme de dôme du philosophe ; ils ont ri de l’étrange perspective du paysage qui s’étend au-dessous de lui.

S’ils avaient réellement su qui il était, ils trembleraient. Car Chuang-Tzù passa sa vie à prêcher la grande religion de l’Inaction et à faire remarquer l’inutilité de toutes les choses utiles.

« Ne fais rien, et tout se fera » telle était la doctrine que lui légua son grand maître Lao-Tzù.

Résoudre l’action en pensée, et la pensée en abstraction, tel était son but criminel et transcendant.

Comme l’obscur philosophe de la spéculation grecque primitive, il croyait à l’identité des contraires.

Comme Platon, il était idéaliste, et il avait tout le mépris de l’idéaliste pour les systèmes utilitaires, il était mystique comme Denis, Scot, Érigène, Jacob Boehme.