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Un certain Vénitien, haïssant un des Dix qui commit une injustice envers lui, et identifiant son ennemi avec Venise même, abandonne sa ville natale et fait vœu de vouer son âme à l’Enfer plutôt que de faire un geste pour Venise.

Comme il s’éloigne de l’Adriatique la nuit, son vaisseau est arrêté par un calme soudain, et il voit une immense galère

                        où était assis
    comme des puissants conseillers, affranchis de tout et orgueilleux,
    les démons triomphants au milieu de leur flamme

et ils se dirigent vers Venise.

Il lui faut choisir entre sa perte et celle de sa cité.

Après une lutte, il prend le parti de se sacrifier à son téméraire serment.

    Je montais. Mon cerveau avait produit une pensée,
    un espoir, un but. Et j’entendis le sifflement
    du désappointement furieux, enragé de manquer
    sa proie, — j’entendis le léchement de la flamme
    qui allait et venait à travers les figures blêmies,
    qui dardait avec colère ses langues aux hurlements des démons.
    Je levai haut cette croix, et criai : « A l’Enfer
    mon âme pour toujours, et à Dieu mon acte !
    Pourvu que Venise soit loin de danger, que cette vile argile
    aille où le destin l’entraîne ». Et alors (quel rire hideux
    du démons en pleine possession, ardents à boire
    le vin d’une âme nouvelle, vin que n’ont point affaibli les larmes
    et qui retentissait comme le tonnerre de la ruine à mes oreilles)