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ÂME BLANCHE

Et ce furent les seules paroles qu’elle m’adressa durant le trajet de chez nous à la rue Marcq. Là, ayant ouvert avec son passe-partout une porte brunâtre à un seul vantail, au milieu duquel luisait la plaque de cuivre mentionnant le nom de mon aïeul : Édouard Veydt, et, annonçant sa qualité de Docteur en médecine, ma tante me fit passer devant elle, pour traverser un vestibule long, étroit, glacial et dont le dallage, alternativement blanc et bleu sombre, faisait penser à un damier funèbre dont chaque carré eût recouvert une sépulture.

Il pouvait être quatre heures du soir ; on était en hiver, la journée avait été pluvieuse et la lumière n’arrivait là que par les vitres matées d’un très petit œil-de-bœuf donnant sur la cour. C’est dire que ce vestibule était obscur. Je ne me rappelais pas y avoir jamais mis le pied et le premier sentiment qu’il m’inspira fut la peur, une peur nerveuse, indicible, qui, malgré moi, fit venir à mes lèvres le nom de ma nourrice, la seule personne qui eût pris soin de moi depuis la maladie de Mme Veydt. Et, retournant sur mes pas, bien décidée à gagner la rue, je prononçai ce nom, dans le cri furieux et navré que je retenais depuis notre départ de la maison :

— Dauka !… Où est Dauka ? Je veux retourner près d’elle.

Ma tante ne me répondit point, ne fit rien pour m’apaiser, mais, comme ma colère, accrue