Page:Wiele - Ame blanche.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
ÂME BLANCHE

limbes, la magie énervante de la musique, agissant pour la première fois, fut si profonde que je m’évanouis. J’ai la conscience de n’avoir pu résister à ce que j’éprouvais en ce moment et de m’être laissé terrasser par une force tellement supérieure que rien, rien n’aurait pu me soustraire à son action.

Combien de temps je restai là, derrière la table harmonique de ce piano, sans connaissance, je ne saurais le dire. Quand je revins à moi, j’étais sur les genoux de Mme Veydt, près d’une fenêtre ouverte, et des bouffées d’air me caressaient le front, saturées d’une odeur de vinaigre et d’eau de Cologne : deux grands yeux bleus levés vers moi, anxieusement, sous des sourcils arqués et délicats ; un visage ovale dont le teint mat paraissait encore plus blanc aux tempes qu’encadraient des bandeaux de cheveux châtains… ; une robe rose, ample et molle, de cette mousseline qu’on appelait zéphir et qu’on eût dite tissée avec des fils de la Vierge…, la chaleur d’une main tendre qui serrait les miennes toutes froides…, une voix frémissante d’angoisse, murmurant, dans un baiser :

— Lina, ma petite, mon enfant…, tu me vois, n’est-ce pas, tu m’entends bien, tu n’as mal nulle part ?

Et c’est ce que je me rappelle de plus net, de plus exact concernant ma mère à cette époque.