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pas ça ! Mais, après une jeunesse pénible, de nombreux jours de misère, l’homme ressent le besoin légitime de se reposer et de reposer ses yeux affaiblis par les veilles, en regardant un avenir tranquille, à l’horizon clair et rose.

Il est vrai que depuis son entrée dans la maison Fininger son étoile paraissait monter dans un ciel plus pur. Le père de son élève était généreux : il estimait et payait le talent à sa valeur. Néanmoins, la dépendance dans laquelle Jean se trouvait n’était pas sans lui causer une sorte d’humiliation. Il se souvenait de la rougeur qui avait recouvert son visage, lorsque, deux jours auparavant, la poste lui avait remis ses appointements du premier mois. Il eût été véritablement gêné de tendre la main pour recevoir nette somme et il savait un gré infini à M. Fininger de lui avoir épargné cette épreuve. Ces pièces d’or semblaient lui brûler les doigts. Il s’était aussi empressé d’envoyer à son père tout ce dont il n’avait Pas absolument besoin.

Tenir de l’argent du père de celle qu’il aimait lui était particulièrement désagréable. Ah ! s’il avait osé, comme autrefois Jacob, servir pour gagner la jeune fille ! Mais la situation n’était pas la même. Et, à tous ces doutes, qui le torturaient souvent, se mêlait encore l’idée qu’en restant dans cette famille, il trompait M. Fininger, puisque, tout en remplissant, il est vrai, ses fonctions de précepteur, il se laissait entraîner par une folle passion, avec l’espoir inavoué d’être un jour aimé de la fière patricienne.

— Je serai sur mes gardes — dit-il, en guise de conclusion, tandis que la barque glissait sur le lac. Pas un mot, aucun regard ne doit, trahir mon cœur.