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la patricienne

Fininger. S’il vous faut des livres, vous n’avez qu’à commander, on vous les expédiera de suite. Vous serez plus à l’aise pour vous livrer à vos études favorites, sur les bords d’un beau lac, que dans la chaleur étouffante de la ville. Et puis, vous m’en avez fait la promesse.

Le jeune homme céda. Il n’y avait pas d’autre issue, puisqu’il s’était engagé à les accompagner. S’il avait, prétexté ses travaux, c’est parce qu’il n’osait ni s’avouer, ni avouer à d’autres, surtout à M. Fininger, le vrai motif de son hésitation. Il se disait, et non sans raison, que cette existence en commun, ces relations quotidiennes avec Dougaldine deviendraient pour lui la source de peines infinies, et, loin de s’affaiblir, l’amour qu’il ressentait déjà pour elle se fortifierait et annihilerait sa volonté. À cette pensée, une peur vague l’assaillait. Où le conduirait-elle, cette passion ? Parfois, à vrai dire, il se flattait que Dougaldine le paierait de retour et qu’alors, encouragé par elle, il triompherait de toutes les difficultés. Mais, l’instant d’après, le doute le reprenait, amer et poignant. Ne connaissait-il pas cette jeune fille ? Il y avait, chez elle, comme deux êtres distincts, deux âmes : l’ange de l’amour, la femme capable de rendre un homme indiciblement heureux ; et, à côté, le démon de l’orgueil, de la caste patricienne, qui se révoltait à la seule idée d’aimer un enfant du peuple. Et, pour elle, ce rang qu’elle occupait dans le monde n’était pas affaire de vanité ; c’était plutôt la résultante de mûres réflexions. Elle avait étudié ces choses de près et croyait fermement à la valeur morale de sa noble origine. De même aussi, elle comprenait les devoirs que lui imposait sa naissance. Sans aucun