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LA PATRICIENNE

combat perdait aussitôt tout attrait. Max de Rosenwelt n’avait poursuivi le docteur de ses questions que dans l’intention de l’humilier devant Dougaldine ; et Jean eût mis, par quelques brèves réponses, très lestement fin à la discussion, s’il n’avait pas deviné que la sœur de son élève était comme suspendue à ses lèvres.

Et, pendant que les invités, encouragés par le maître de la maison, fumaient de délicieux havanes, Dougaldine, seule au salon, se promenait, agitée, sur le tapis qui amortissait le bruit de ses pas. Elle n’avait nullement prévu ce qui venait d’arriver. L’homme du peuple s’était révélé homme de cœur ; les paroles discordantes qu’on avait prononcées n’étaient pas de lui. On l’avait provoqué, on l’avait attiré sur un terrain glissant, dans un chemin hérissé de surprises, et il s’était conduit avec une merveilleuse sûreté, conséquence naturelle de sa haute instruction et de sa mâle énergie. Son humble origine, il ne l’avait pas reniée ; ni ses principes républicains. D’une manière très délicate, il avait su respecter les plus intimes sentiments des convives. Un seul avait reçu une verte leçon, et il la méritait.

— Pourquoi ? se disait Dougaldine, avec un profond soupir ; pourquoi n’est-il pas un des nôtres ?

Elle s’effraya, à cette pensée.

Puis, plus calme, elle se demanda :

— Et s’il était de notre monde ?

La réponse suivit aussitôt :

— Oh ! oui, oui, je l’aimerais ! je l’aimerais !… Mais… non ! c’est impossible ! Jamais ! Jamais ! Et elle cacha dans ses mains la rougeur de son beau et clair visage.