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LA PATRICIENNE

seulement c’était l’occupation de mes ancêtres ; mais elle devait devenir aussi la mienne, car j’étais destiné à ce rude labeur. On peut donc nous appliquer l’expression : Nomen et omen !

Il ne faut pas être grandement versé dans la connaissance des hommes pour affirmer que l’histoire de cette humble origine, telle que l’expliquait le docteur, produisit une singulière impression sur les invités de M. Fininger, presque tous gens dont l’une des gloires, peut-être l’unique, était l’antique renommée de leurs familles. Quelques-uns ne se sentaient pas à l’aise ; d’autres voyaient, dans ces paroles, l’orgueil du peuple se dresser en face de leur orgueil de patriciens. Dougaldine était de ce nombre. Mais elle avait bien deviné aussi que Jean, tout en rabaissant sa naissance, avait voulu l’entourer d’un cadre éminemment poétique. Ce n’est pas la pauvre hutte de la montagne qu’il venait d’évoquer sous les yeux de ses auditeurs, mais l’alpe sublime, les dangers qu’elle cache sous son rayonnement, le soir, quand le soleil des étés la caresse de ses lueurs pourprées. Aurait-il été si sincère, s’il avait eu pour père un vulgaire savetier, dont l’échoppe se fût ouverte dans une sombre ruelle de la ville ?

Elle eut aussitôt l’envie cruelle de le mettre à l’épreuve, et elle en possédait le moyen, son frère lui ayant dit que le père du docteur vivait assez pauvrement dans sa montagne.

Prenant donc le ton de la pitié, afin de mieux faire sentir la différence qui existait entre son monde et celui de Jean, elle l’apostropha de cette façon ;