Page:Widmann - La Patricienne, trad P César, 1889.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
LA PATRICIENNE

docteur Almeneur qui parlait, selon son habitude et sans pédanterie aucune, de choses à coup sûr sérieuses et captivantes, car elle remarqua souvent que tout le monde l’écoutait. À un certain moment, le voisin de Jean, un patricien, prétextant qu’à son arrivée il n’avait pas entendu son nom, le pria de bien vouloir le lui répéter, afin qu’il sût avec qui il avait l’honneur de s’entretenir. Jean se nomma. Et le patricien, sans doute dans l’intention de flatter le docteur, déclara que ce nom ne manquait pas de noblesse.

— Dame ! répliqua le maître d’Amédée, d’un ton légèrement ironique, je ne sais trop qu’en dire. Toutefois, ce dont je puis vous assurer, c’est qu’il indique parfaitement l’occupation de mes ancêtres, de génération en génération…

Ces derniers mots : ancêtres, de génération en génération, étaient les mieux compris de la société réunie chez M. Fininger. On fut donc très attentif à l’explication qu’annonçait la phrase du docteur Almeneur. Il continua :

— J’imagine qu’une lettre de notre nom s’est perdue à travers les âges. Après Almen, qui signifie l’alpe, il y avait probablement heuer, l’homme qui récolte, qui fauche le foin, de sorte que, primitivement, ce même nom devait s’écrire Almenheuer, c’est-à-dire un homme qui s’en va ramasser le foin sur les hauts sommets. Rappelez-vous ce passage de Guillaume Tell où Rodolphe de Harras parle « de la vie pauvre et misérable » de ces sauvages montagnards qui osent s’aventurer, pour une poignée d’herbes, jusqu’au-dessus des plus profonds abîmes, où les chèvres elles-mêmes ne se risquent point. Non