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LA PATRICIENNE

Tandis que M. Fininger et Dougaldine parlaient de ce souper, Amédée s’était glissé dans la chambre et écoutait tranquillement ce qui se décidait. Le père demandait justement si l’on ne pouvait pas aussi inviter M. Molsen, le « professeur de documents », comme on l’appelait, puisque son collègue, M. Grégor, serait parmi leurs hôtes.

C’était un personnage très original que ce M. Molsen. Il avait fait de précieuses découvertes dans les archives de plusieurs pays, notamment en France et en Italie, et il les utilisait avec habileté pour ses leçons sur l’histoire suisse. Parfois il assistait, dans certaines familles patriciennes, à des repas de gala ; mais il avait une si déplorable habitude que Dougaldine osa s’opposer à cette invitation.

— Vois-tu, papa, dit-elle, ce vieux monsieur, je le reconnais, est très intéressant, même très savant, et pour peu qu’il le voulût, il serait un aimable convive. Mais, on n’est jamais sûr avec lui. Au moment où l’on s’y attend le moins, dans sa passion des papiers jaunis, il est capable de dire à son voisin : Oui, précisément, c’était en l’année 1473 que votre ancêtre Jean fut pendu, comme cela peut se voir dans tel ou tel document. Moi-même, j’ai entendu de semblables paroles et je t’assure que ces généalogies qu’il ressuscite ainsi autour d’une table où sont assises plusieurs personnes, produisent toujours le plus fâcheux effet. Pour lui, c’est une manie. Qui nous dit que parmi nos ancêtres il ne s’y trouve pas également un de ces seigneurs de grandes routes dont le professeur nous raconterait peut-être la piquante histoire. Ne l’invitons point.