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LA PATRICIENNE

bataille devint générale et prit en quelques secondes d’homériques proportions.

Elle-même, Dougaldine, ne se comprenait plus. Ce qui mettait ainsi ses amies en belle humeur troublait réellement tout son être. En entendant ces éclats de rire, elle trouva que ses compagnes avaient l’air de petites fillettes bien sottes. Et, pourtant, afin de ne pas jeter un froid sur sa réunion, elle essayait de réagir contre elle-même. Mais rien n’excitait plus sa curiosité. Elle écoutait, puis, elle oubliait. Il lui semblait toujours que quelqu’un, — presque encore un inconnu, prenait possession de son cœur. Elle était sous le coup d’une sourde douleur physique, et elle soupirait après un peu de repos, de même que la biche surmenée soupire après un instant de tranquillité sous un toit de feuillage. Aussi, malgré la franche et cordiale amitié qui la liait à toutes ces jeunes filles, elle ressentit un vrai soulagement lorsque, au déclin du jour, elles s’en allèrent en répétant à l’unisson qu’elles venaient de passer une délicieuse après-midi.

La solitude n’apporta pas le calme à Dougaldine. Elle était habituée, ainsi que nous l’avons dit, à se rendre compte de ses propres impressions. Son regard, qui avait des clartés pour tout ce qui l’intéressait, s’ennuageait cette fois et l’empêchait de voir. Et, autant elle avait désiré, un instant auparavant, le départ de ses amies pour être seule avec elle-même, autant à présent elle souhaitait que quelqu’un arrivât pour rompre le fil qui emportait sa pensée