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LA PATRICIENNE

sitôt, comment quelqu’un de notre société peut-il agir ainsi, au mépris de sa famille et du nom que ses ancêtres lui ont laissé ?

Et, en prononçant ces paroles, on eût dit qu’elle avait la vague appréhension qu’un jour elle serait aussi obligée de se défendre elle-même contre une pareille défaillance.

— De notre société ! répliqua Nathalie, la plus jeune de toutes, et très jolie avec ses boucles noires, laquelle n’avait probablement pas compris ce qu’avait voulu dire Dougaldine. De notre société ! Naturellement ! Nous autres, nous ne ferions jamais cela. C’est évident.

Déchiffrera l’énigme du cœur humain qui voudra. Mais Dougaldine, à ces mots, et avec un ton plus acerbe encore, parut se déclarer cette fois pour cette inégalité des classes dans l’amour, car elle dit :

— Tout bien considéré, je ne saurais pas pourquoi, si ces sortes d’unions sont permises aux hommes, elles ne le seraient pas de même aux femmes.

Un joyeux murmure, mais décidément très désapprobateur, éclata à ces paroles. Par bonheur, personne ne remarqua la vive rougeur qui empourpra le visage de Dougaldine. Semblables aux amazones de Penthésilée, auxquelles cette reine avait conseillé de s’allier à une tribu de Scythes sauvages, les amies de Mlle Fininger accablèrent celle-ci de mots piquants, et bientôt, tout en se promenant par la chambre, elles lui nommèrent les heureux mortels sur qui tomberait leur préférence, pour le cas où elles devraient choisir un mari au-dessous de leur rang. L’une prendrait « l’oncle Mathurin » ; l’autre, « le fils d’un épicier » ; la troisième, « un tambour-major ». Bref, la