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LA PATRICIENNE

saient cette jouissance à quelques dames de leur monde, qui se réunissaient pour lire le Dante, que commentait un professeur. À coup sûr, ces exquises croqueuses de pâtisseries avaient tort de se moquer de leurs aînées. Mais, comme elles savaient jaser, chacune disant ce qui lui venait à l’esprit ! Et l’eau coulait gaiement, en légers clapotis, sur les roues du moulin, une eau limpide, nullement trouble, car, lorsque l’âme est pure, le langage l’est aussi.

Certains bruits, depuis les derniers jours, donnaient beaucoup à parler à ces gentes demoiselles. On racontait qu’un jeune patricien aimait à la folie l’enfant merveilleusement belle d’un simple tailleur. Les parents avaient voulu les séparer. La jeune fille était partie pour un pensionnat de la Suisse française. Mesure inutile ! Lui, avec la permission de son père, s’en était allé à Lausanne pour y continuer ses études. Or, comme le pensionnat n’était pas très éloigné de cette dernière ville, les deux amoureux avaient aussitôt renoué des relations. L’enfant du pauvre tailleur venait de rentrer à Berne, suivie de près par le jeune patricien, et il y avait grande apparence que leur amour finirait par triompher des préjugés qui s’opposaient à leur union.

Un autre scandale soulevait encore plus de poussière. Le rejeton d’une ancienne famille s’était bêtement amouraché d’une petite actrice, non dans une intention coupable, mais avec le sincère désir de l’épouser. L’actrice, sans doute de complicité avec son adorateur, s’était subitement embarquée pour l’Amérique où l’avait aussitôt rejointe le jeune noble, et voilà qu’une dépêche annonçait justement leur mariage dans le nouveau monde.