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LA PATRICIENNE

de la rue qui entrait avec lui, mais c’était celui des brasseries. C’est le seul mobile qui m’a conduite à demander qu’Amédée reçoive ses leçons à domicile.

Le docteur avait déjà entendu souvent formuler ces objections contre l’école populaire, mais elles n’avaient jamais produit la moindre impression sur lui. Il n’en fut pas de même cette fois. Il est vrai qu’il se trouvait momentanément dans un autre milieu. Cette jeune fille, qui parlait d’une façon si calme et si sérieuse de la bonne renommée de leur famille, n’exagérait absolument point. Et quelle honnête indignation s’emparait d’elle à la pensée que son frère, qui sans doute lui ressemblait, était exposé à toutes sortes de dangers, même à une déchéance morale, dans ces écoles où tout le monde allait ! Sûrement, ses paroles avaient tout à fait l’accent de la vérité, du plus simple bon sens, dans ce salon meublé richement, en présence de ces aïeux qui, du haut de leurs cadres dorés, paraissaient approuver ces idées et partager ces craintes. Et l’autorité de ces mots était plus grande encore, quand on voyait les lèvres qui les prononçaient, lèvres roses que parfumait l’odeur des jacinthes.

Hâtons-nous cependant de dire que le jeune docteur, malgré les tentations grisantes qui l’enveloppaient, ne faisait aucune concession. Il disait seulement en lui-même : le droit à l’existence de tous les hommes étant admis, il est naturel que les patriciens aiment à vivre comme bon leur plaît, selon leurs goûts et leurs besoins. Le poisson meurt hors de l’eau ; l’oiseau ne peut se priver d’air : le grand, l’unique souci des nobles doit donc être de préserver leurs maisons des atteintes du dehors, des influences