Page:Widmann - La Patricienne, trad P César, 1889.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LA PATRICIENNE

un peu. Le père et l’enfant se ressemblent-ils ? Est-ce que l’homme intelligent n’exerce pas une influence considérable sur l’homme moins développé ? Et ne découle-t-il pas de là que justement l’inégalité est la condition même de toute éducation ?

— Vous ne voulez pas me comprendre. Je n’ai pas en vue le développement intellectuel de l’enfant, qui, nécessairement, ne sera jamais le même chez tous. J’ai pensé à une autre égalité, à celle que pratiquaient les chevaliers des temps passés, lorsqu’ils envoyaient leurs fils, en qualité de pages, aux cours des ducs, des princes et des rois. Ils ne songeaient pas du tout à les mettre dans la même école que le garçon de leur portier.

Elle prononça ces derniers mots d’un ton sec, avec une moue dédaigneuse, ce qui donnait à sa physionomie une expression plus piquante. Elle incarnait l’orgueil patricien, et cependant on ne pouvait s’empêcher de l’admirer.

Au risque de rompre le charme, le docteur reprit :

— Voyez-vous, mademoiselle, moi, je crois que l’on s’instruit, jour après jour, avec tout homme qui entretient des relations avec nous. Nous en sommes la preuve, à cette heure-ci. Le bout de conversation que nous venons d’avoir, nous a obligés d’échanger nos idées ; pendant quelques minutes, nous avons dû passer en revue nos opinions, les formuler et les appuyer de raisons plus ou moins solides ; peut-être même les avons-nous sensiblement modifiées. Est-ce que ce travail purement intellectuel ne concourt point à notre instruction ?

Une rougeur de soleil couchant couvrit le front de la patricienne à cette conclusion inattendue. Déci-