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LA PATRICIENNE

L’un et l’autre, en se retrouvant ainsi à l’improviste, avaient senti un flot de sang envahir leurs joues. Mais, ils ne furent pas longtemps embarrassés. La patricienne, déjà habituée à la vie mondaine, domina assez vite la première impression pénible qu’évoquait en elle cette rencontre fortuite ; le docteur, dont les forces s’étaient trempées dans la lutte qu’il avait jusque-là soutenue pour l’existence, reprit également bientôt possession de lui-même. Une pensée, pourtant, traversa furtivement son cerveau, en y laissant une traînée de feu : c’était assurément pour son frère qu’on cherchait un précepteur. Car il n’en pouvait douter : cette jeune fille était évidemment Mlle Fininger, autrement elle ne l’aurait pas reçu sans chapeau et en cette toilette, d’un négligé charmant.

— Je voulais… je désirais parler à M. Fininger, balbutia enfin Jean Almeneur.

— Ah ! dans ce cas, Juliette, notre domestique, s’est trompée, observa la demoiselle, sans faire mine de s’asseoir ni d’offrir un siège au visiteur.

Comme elle ne parle que le français, elle n’aura probablement pas compris.

Cette réponse froissa le jeune homme. Aussi il répondit :

— Je vous prie de m’excuser. J’étais à cent lieues de supposer qu’à Berne les filles de chambre n’entendent pas l’allemand.

— Et, pourtant, c’est ainsi dans nos familles, répliqua-t-elle, en appuyant avec intention sur le mot, comme si elle eût voulu élever une haie d’épines entre elle et l’audacieuse intrusion de tout étranger, particulièrement de celui qui était présent.