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LA PATRICIENNE

aux couleurs variées, qui jetaient, par leur éclat et leurs parfums, une note printanière de gaîté et de soleil dans l’antique demeure patricienne. Elles le plongèrent, pour ainsi dire, dans une rêverie tout orientale, de sorte qu’il n’entendit ni le bruit de la porte qui s’ouvrait, ni le glissement d’un pas léger sur les tapis. Tout à coup une voix fraîche, jeune et pleine, d’un pur accent cristallin, résonna à ses oreilles :

— Monsieur !…

Brusquement, Jean se retourna, comme mû par un ressort.

Devant lui se tenait la jeune fille qui, depuis la nuit de bal, avait occupé toutes ses pensées.

Un cri de surprise faillit s’échapper de ses lèvres. Mais, oui, c’était elle ! C’était bien la même jeune fille, blonde, élancée, dont l’expressive physionomie passait si rapidement de l’air sérieux au sourire plein de malice. C’était elle, dans tout l’épanouissement de ses dix-neuf printemps, chaste et cependant déjà provocante comme la femme. C’était le même front obstiné, autour duquel frisottaient quelques boucles dorées, légères, qui caressaient la peau mate ; ses yeux brillaient d’un éclat de turquoise, mais, parfois, les paupières, hâtivement baissées, en adoucissaient le regard. La bouche, aux lèvres à peine retroussées, riait ainsi que celle d’un enfant ; néanmoins, elle pouvait aussi, et on le sentait instinctivement, répondre par un sourire ironique, méprisant, à une parole trop osée.

De même, elle avait reconnu, et non sans autant d’étonnement que lui, le jeune homme avec lequel elle n’avait pas voulu danser.