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LA PATRICIENNE

sorte de gêne, de vague inquiétude le retenait. Le terrain lui semblait trop glissant. Pour la rappeler, en effet, au souvenir de ses amis, il faudrait en faire le portrait ; de plus, on avait peut-être remarqué qu’elle avait refusé de danser avec lui. Il ne pouvait donc guère en parler. Toutefois, il espérait bien qu’on allait aussi s’en occuper. Sa beauté, sa fière démarche, sa taille exquise avaient dû frapper tout le monde. Après la première chope, il en demanda une seconde ; puis, chose inouïe pour lui avant midi, il se laissa aller à en boire une troisième. Il faisait déjà des folies pour celle qu’il aimait. Ce fut en vain. On causa de toutes les autres jeunes filles, et beaucoup des femmes ; on se moqua de la coiffure à l’indienne d’une dame quelque peu fanée, connue d’ailleurs par l’excentricité de ses toilettes, qui dissimulaient à peine la maigreur de ses formes ; on raconta ensuite une histoire très piquante sur la robe en soie pourpre d’une autre femme ; on rit enfin, sans songer à mal, des naïvetés d’une ingénue qui, une fois la première fièvre du bal envolée, avait heureusement retrouvé son franc naturel. En un mot, ce fut un bavardage dans toutes les règles de l’art, et ce bavardage fleurit aussi bien autour de la chope de bière qu’autour de la tasse de café. Mais, on ne mentionna même pas l’inconnue, au grand désespoir de Jean, qui n’attendait qu’un nom, un seul.

Au fond, le docteur ne s’en montra pas trop fâché. Une remarque grivoise de l’un des assistants eût pu lui causer une grande peine. Et lorsque l’entretien, cette fois, roula uniquement sur une des particularités de la mode qu’un des jeunes gens voulut baptiser du qualificatif de callipygique, en mémoire