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LA PATRICIENNE

— Insensé, insensé que je suis !

Sa philosophie ne voulait pas voir qu’entre tous ces divers symptômes qu’il constatait, sans en découvrir les causes, une affection puissante naissait au dedans de lui, qui défiait toute explication raisonnable. Il y a de par le monde végétal de petites fleurs qui osent entr’ouvrir leurs corolles sous les coups répétés de l’orage. Quand la tempête est passée, elles sont épanouies. Si on lui avait dit qu’il était bien près d’aimer la jeune patricienne, il en aurait joliment ri ; ou, sans y attacher aucune importance, il eût considéré ce sentiment comme une simple fantaisie poétique, un caprice d’artiste, d’amoureux épris, non d’une femme, mais de la beauté féminine, de l’harmonie des lignes d’une taille souple et fine.

Tout en rêvant ainsi, et sans trop regarder où il dirigeait ses pas, Jean venait de parcourir un assez long trajet. Il était arrivé à cet endroit bien connu des promeneurs où, à l’aide d’un bac, on peut traverser l’Aar. Justement il aperçut un homme qui réparait des filets sur le bord. Il alla vers lui.

— Voulez-vous me passer de l’autre côté ? demanda le docteur.

— Volontiers ! répondit l’homme. Et laissant son travail, il se mit en devoir de préparer la barque.

Quelques instants après, Jean était sur l’autre rive. Il donna une piécette blanche au passeur et prit un sentier par lequel il atteignit en dix ou douze minutes la voie publique. Le soleil, dans toute sa splendeur, inondait de ses rayons chauds les alentours de la ville. Le froid de la nuit tombait. Sur le ciel clair et pur de ce matin de mars, le Gurten se découpait nettement en une grosse masse