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la patricienne

aimé que je voulais sacrifier ma vie, la gâcher, la donner à un misérable ! Je me disais que tu en aimais une autre, et je soutirais tant à cette pensée ! Eh bien, puisque je te devrai mon salut, ma rédemption, prends-la, cette existence, et moi avec : Nous serons heureux, ô mon ami !

Mais, non ! Aucun cri, aucun mot n’effleura ses lèvres……

Comment ? Elle, rappeler cet homme ! Mais, c’est lui qui s’en allait ! Ah ! il est vrai, ses adieux étaient l’explosion d’un impérissable amour ! Ils signifiaient aussi une séparation éternelle. Jamais elle ne lui crierait de revenir. Cette barque, pourtant, ce frêle esquif, portail le jeune homme qu’elle aimait de toutes ses forces. Là-bas s’envolait son bonheur. Chaque coup de rame éveillait un douloureux écho dans son cœur meurtri. Leurs destinées, à eux deux, s’accomplissaient.

Elle ne succomberait pas.

Involontairement ses regards suivaient la marche de la chaloupe qui s’éloignait toujours. Lui, le visage tourné du côté du bord, ramait sans cesse, évitant de la voir. Où courait-il ainsi ? Était-ce vers l’oubli, la misère ou la mort ?

La barque contourna une langue de terre qui s’avançait en pointe dans les eaux du lac. Elle disparut bientôt aux yeux de Dougaldine. Dans un instant, toutefois, on allait la revoir de nouveau. Mais, la pauvre fille n’en pouvait plus. Ses nerfs se détendirent, son orgueil se brisa : il était trop tard. La respiration haletante et versant d’abondantes larmes, elle tomba sur le gazon, pressant son mouchoir