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observer les alentours de la villa, pénétrer jusqu’à vous, pour vous avertir ; ce qu’elle aurait fait si je ne l’en avais empêchée. Par hasard, après le souper, vous vous le rappelez, je suis descendu au jardin. C’est ici même qu’un moment après elle abordait-La pauvrette m’a raconté toute sa douloureuse histoire. Et si je ne l’ai pas laissée partir seule, c’est que j’ai craint qu’elle ne cherchât la mort, la fin de ses souffrances morales dans les eaux profondes du lac.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que me dites-vous là ? murmura Dougaldine, anéantie.

Et, tout à coup, comme si elle allait tomber, elle étendit les mains en avant, n’ayant plus qu’une vague notion du monde qui l’entourait.

Le docteur la reçut dans ses bras. Elle était évanouie. Son beau visage pâle, les yeux clos, la bouche entr’ouverte ne donnaient plus aucun signe de vie. Tout le corps frémissant, Jean la contemplait. Ah ! comme il aimait cette femme ! Toute sa passion, cet être frêle, dont l’orgueil ne pliait pas. Et maintenant il la tenait serrée contre son cœur. La tentation était trop forte. Comme s’il eût été aveuglé par l’éclat marmoréen de ces joues, il se pencha sur cette blanche figure et imprima un long, un bien long baiser sur ces lèvres qui n’avaient pour lui que des paroles toujours dures. Ce baiser d’amour, ce fut le premier, un baiser passionné, où se mêlait la douleur amère, infinie de la séparation éternelle.

Mais elle reprenait déjà ses sens. Elle le regarda longtemps, nullement fâchée, peut-être étonnée d’être dans ses bras. Même on eût dit qu’elle attendait plutôt, en cet abandon, une nouvelle preuve d’a-