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mieux jouir de l’effet qu’elle était sûre de produire, et ajouta :

— Enfin, je me suis fiancée !!

Cette dernière phrase fut dite d’un ton presque indifférent, tout à fait dégagé. Aucun mouvement ne trahissait l’émotion qu’éprouve la jeune fille en prononçant ce mot, d’une mélodie si suave pour les oreilles de quelques femmes.

Le docteur avait failli tomber à la renverse. Sa stupéfaction fut si profonde que fut grande la terreur des hôtes du Festin de Pierre, à la vue de la statue du Commandeur.

— Malheur à moi ! dit une voix au-dedans de lui. Malheur à moi ! Maintenant, tout est fini !…

Et il sentit qu’il en était réellement ainsi. Non pas à cause de ces fiançailles : il n’avait qu’à parler pour les rompre d’un seul coup. Mais, dès ce moment, un abîme les séparait pour toujours. Quoi ? Elle avait été capable d’agir de la sorte ? Pourtant elle n’ignorait pas combien il l’aimait, lui ! Et simplement pour lui causer un de ces chagrins qui vous broient le cœur, elle se donnait à un homme qu’elle connaissait à peine, tandis que pour lui elle n’avait eu que des paroles cruelles et des regards orgueilleux. Pauvre, pauvre moi ! fit encore la même voix. Oui, c’était bien fini ! Le coup avait été rude. Il y a des arbres vigoureux qui ne sont pas déracinés par la tempête ; néanmoins, ils ne se redressent jamais complètement et végètent alors jusqu’à l’heure où la main de l’homme vient les abattre.

— Pourquoi donc ne parlez-vous point ? reprit Dougaldine que le silence de Jean commençait à inquiéter. Comment ? Vous ne m’adressez aucun