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LA PATRICIENNE

exagération, l’énergie virile du peuple et sa valeur morale. Il n’ignorait pas, lui non plus, les affreux ravages de la misère et des longues privations ; toutefois, cela n’arrêtait point les natures saines et fortes, comme la sienne, dans leur développement harmonieux. C’est pourquoi, et en s’appuyant sur ses propres observations, le docteur Almeneur croyait à la nécessité d’une infusion de sang continue pour rajeunir, par les classes inférieures, les classes supérieures du corps social. Là se trouvait le salut, dans cette poussée, dans cette victoire finale des « nouvelles couches » de l’humanité. C’est le travail lent des siècles, et nous en sommes les enfants. Le genre humain, à chaque âge, a besoin d’un homme nouveau, l’homo novus, comme l’appelaient les Romains, non sans une nuance de mépris. Jean savait ce dont était capable ce nouvel être. N’y avait-il pas, dans le haut de la ville de Berne, la statue en bronze d’un homme d’État qui, parti bien jeune d’une simple maison de paysans, a puissamment contribué à la transformation complète de la Suisse et auquel on a rendu, à juste titre, les plus grands honneurs ?

— Non, non ! mille fois non ! murmurait notre savant. Sa noblesse ne m’en impose pas. Je suis tout aussi noble qu’elle, et le sang qui coule dans mes veines est peut-être plus riche que le sien.

Mais en vertu de quel pouvoir étrange s’était-elle emparée de lui, de ses sens et de sa raison ? Plus il analysait ses impressions, plus celles-ci lui échappaient. Il n’en trouvait pas la clef. Elles lui apparaissaient comme autant d’énigmes qu’un regard de femme avait posées. À la fin, n’y tenant plus, il frappa du pied presque avec colère, en s’écriant :