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la patricienne

puissante que l’épée on la flèche empoisonnée. Nos patriciens comprennent notre temps à peu près comme les Sioux et les Iroquois. Pour eux, l’armure de chevalier est encore la seule en usage dans notre monde moderne. Ils perdent ainsi de jour en jour une parcelle de terrain. Leur fin a un air quasi tragique. Au point de vue historique, on doit la regretter. Car il s’agit ici des descendants des anciens noms bernois qui ont donné à notre ville gloire, puissance et richesse. L’homme contemporain, malheureusement, n’est pas sentimental. Les enfants, assis sur les bancs de l’école, peuvent encore pleurer sur le sort des Indiens. Quant à nos gens à particule, la plupart possèdent de magnifiques propriétés, où il leur sera loisible, à l’avenir, de chasser le buffle à leur manière et d’allumer des feux dans les prairies, pour se consoler, s’ils sont consolables, d’être à jamais exclus de l’administration de la ville de Berne. Le règne des patriciens a vécu, comme a vécu en France le règne des ducs et des marquis.

Bien qu’il y eût plusieurs vérités dans ces paroles, elles ne laissèrent pas de produire une pénible impression sur le docteur. Le ton sur lequel elles avaient été prononcées le froissait surtout. Il ne lit, toutefois, aucune observation. Il n’était, d’ailleurs, pas disposé à engager une discussion sur ce sujet. Une mortelle inquiétude le tourmentait. Ses pensées s’envolaient toujours à Beau-Port. Il fut même un instant sur le point de repartir aussitôt et de manquer son rendez-vous à l’ambassade. Mais, il vit à l’horaire du chemin de fer qu’il n’était déjà plus temps.

À trois heures, l’heure indiquée, il s’en alla donc