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la patricienne

D’un côté comme de l’autre, il se heurtait à l’impossible.

Dans une disposition chagrine qui s’expliquait, Jean parcourut les rues de la vieille Berne, plongées en leur tranquillité du dimanche matin. Il y avait bien un mouvement de promeneurs sous les arcades ; mais peu de voitures roulaient sur le pavé chauffé par le soleil. De temps en temps, il saluait une connaissance ; il s’arrêtait parfois aussi à lire les dernières proclamations adressées aux électeurs. Cette lecture ajouta encore à sa mauvaise humeur. Car, si l’appel des patriciens voilait à peine le pressentiment d’une défaite certaine, celui des libéraux, de son propre parti, était rédigé en phrases si creuses, et par-ci par-là si haineuses, qu’il en avait presque honte pour lui et pour ses amis. Rarement il avait vu une aussi bonne cause défendue par d’aussi tristes moyens. Est-ce que ses idées avaient peut-être changé depuis qu’il était entré chez M. Fininger ? Non, mais le docteur se demandait, perplexe, si la rudesse serait toujours la marque distinctive de la démocratie. Et il souhaitait alors l’arrivée d’une époque dans laquelle le libéralisme s’identifierait étroitement avec les manières polies d’une société meilleure qu’auraient enfin formée une éducation et une instruction élevées. Les partis y vivraient côte à côte, sans se déchirer ni se salir, travaillant au bien-être de tous et au bonheur de la patrie.

Mais, tout à coup, le précepteur, qui semblait se faire maintenant l’avocat de ces patriciens dont l’orgueil ne connaissait souvent pas de bornes, se rappela que dans leurs journaux ils dépassaient en injures ces mêmes démocrates que lui paraissait con-