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LA PATRICIENNE

telle idée ! Il n’en revenait pas. Car si, par son origine, sa situation sociale, il avait toujours été démocrate, il l’était réellement devenu par l’étude et par l’expérience qu’il avait déjà des hommes et des choses. À ses yeux, les prétentions des nobles, dans un pays libre, avaient à peu près la même signification qu’un squelette antédiluvien qu’on conserve dans un musée. Autrefois, la terre gémissait sous le poids de ces colosses du règne animal, et il devait être difficile, pour le petit et pour le faible, de vivre côte à côte avec le mammouth et le plésiosaure. Mais, cette époque n’existe plus que dans l’histoire. Les défenses des monstres antédiluviens et les épées de la chevalerie se sont depuis longtemps émoussées. À présent, la société transformée par la victoire définitive de l’esprit moderne sur les âges enfuis, se développe librement, déploie toutes ses énergies au beau soleil du dix-neuvième siècle. N’avait-elle pas l’air d’une farce de carnaval, cette ambition grotesque de faire revivre les privilèges et les vieilles armoiries ?

Le docteur ne croyait même plus à la pureté de la race, cependant le grand souci de la noblesse contemporaine, et son dernier orgueil aussi. Il connaissait maints gentilshommes qui ressemblaient terriblement, sous leur frac, à de vulgaires sommeliers ; d’autres qui paraissaient avoir des liens de parenté avec leur concierge. Il est vrai que, dans cette classe exclusive, plusieurs faisaient encore très bonne figure ; mais, par contre, ces derniers étaient entièrement dépourvus d’intelligence. On ne pouvait les employer à aucun travail utile.

Au contraire, Jean appréciait hautement et sans