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la patricienne

en une belle et spacieuse promenade, bien fréquentée, et d’où vous avez une vue très large sur la campagne de Berne et sur les Alpes. C’était là, au pied des monts étincelant au soleil, c’était là qu’elle était, elle, l’indiciblement aimée ; là qu’elle pensait peut-être à lui, sous les ombrages de Beau-Port, toute blanche dans sa toilette matinale. Le docteur n’apercevait pas la maison de campagne ; mais, au moins, il voyait le ciel de l’Oberland et les cimes neigeuses qui entouraient le coin délicieux où, désormais, après qu’il aura donné à Dougaldine une preuve de son amour, il passera des jours heureux, bénis, tout à la joie du sentiment ineffable qu’il éprouve. Pourtant, s’il avait voulu, s’il n’avait pas été si opiniâtre ! À cette heure, il serait avec elle au sommet du Niesen. Ah ! quelles douces paroles il lui eût murmurées, tout bas, là-haut près de l’azur, le front caressé par la brise qui frôle les pics couronnés de glaces éternelles ! L’air était d’une pureté transparente ; le regard s’échappait au loin, dans cet immense horizon qu’on aime à voir, ne fût-ce qu’une fois en sa vie…

— Ah ! sauvage ! Te voilà enfin ! s’écria une voix derrière lui. Il était tellement absorbé dans la muette contemplation de cette belle nature, aux dimensions gigantesques, qu’il n’avait pas entendu qu’une personne s’approchait. Rapidement Jean s’était retourné : il avait reconnu son ami, retour d’Amérique.

Celui-ci continuait :

— Comment ? Ô sage parmi les sages ! Tu as pu te décider à quitter ton île enchantée où te retient sans doute une Calypso — peut-être même une Circée ?

Mais le précepteur n’était pas d’humeur à com-