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la patricienne

cadencé de deux rames qui battaient l’eau tranquille. Bientôt tout retomba dans le silence — et il n’y eut plus que le murmure de la brise dans les feuilles des platanes et à la surface de l’onde.

Mais Dougaldine — car c’était elle, la promeneuse nocturne — avait reconnu la voix de Jean, de même qu’elle avait deviné que l’autre voix était celle d’une femme. Elle en ressentit une vive douleur, poignante, comme un déchirement profond, et elle eut alors une vague idée des souffrances qu’elle avait dû causer, au repas de midi et les jours précédents, au docteur Almeneur. Il prenait largement sa revanche. La main sur son cœur, pour en comprimer les battements tumultueux, elle dédaigna de poursuivre plus avant la découverte d’un secret que lui livrait le hasard ; et comme si, en apparence, rien d’extraordinaire ne fût arrivé, elle rentra lentement à la villa.

Depuis longtemps minuit était passé lorsque Jean réintégra sa chambre de Beau-Port. Il avait réellement accompagné la jeune femme jusqu’à Thoune et ne s’était séparé d’elle que dans l’appartement qu’elle partageait avec de Rosenwelt. Il avait espéré rencontrer là le hobereau poméranien. Mais, ce dernier n’était pas encore de retour.

— Souvent, dit la malheureuse, il ne revient qu’au milieu de la nuit. Il fréquente toutes sortes d’individus et de sociétés.

— À votre place, je ne resterais plus avec lui.

Elle pleura de nouveau. L’intérêt que lui témoignait cet inconnu la touchait profondément.

Le précepteur insista :

— Vous n’avez que ce moyen pour retrouver un peu de calme : c’est de le quitter, de ne plus le sui-