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la patricienne

quelque part un lieu de repos pour moi et les malheureuses qui me ressemblent.

En disant ces mots, dans une agitation extrême, elle sauta dans la chaloupe et se laissa choir sur le banc. Le jeune homme, d’une poussée énergique, la mit à flot, et, ayant rapidement pris une décision, il s’élança près d’elle. Saisissant ensuite les rames, il vira de bord et gagna le large.

— Mon Dieu, que faites-vous ? avait demandé l’étrangère.

— Je vous accompagne, simplement. Devais-je vous abandonner à vous même et à vos noires pensées ? Non. Permettez-moi donc de vous ramener chez vous.

Et, doucement, ainsi que l’on traite une malade, il la poussa de côté, à la place réservée aux passagers.

Elle se mit à pleurer.

Ces larmes la calmèrent un peu.

Puis, elle balbutia, d’un accent déchirant :

— Il y a donc encore une âme qui a pitié de moi ? Qui ne me méprise point comme je le mérite ? Oh ! je vous remercie, vous ! Vous êtes bon ! Dieu vous enverra le bonheur que je vous souhaite.

Et elle ne remua plus, pendant toute la traversée. Sans l’intervention du docteur, on aurait vraisemblablement retrouvé, le lendemain, un cadavre avec des yeux bleus et des boucles blondes, sur le bord du lac de Thoune.

Au moment où la chaloupe s’éloignait du rivage, une forme humaine s’était subitement montrée à l’endroit même que venaient de quitter le docteur et la victime de Max de Rosenwelt. Toutefois, comme la nuit était assez sombre, on ne distinguait plus rien du côté du lac. On entendait seulement le bruit