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LA PATRICIENNE

Marguerite Sylven, l’unique enfant d’un riche fabricant. Elle était d’une beauté ravissante, fine et blonde des pieds à la tête ; l’incarnation de la jeunesse et de la fraîcheur, de la grâce naïve et de la pudeur. Elle avait des bras de Vénus et dansait avec la légèreté d’une sylphide. Tout était pur dans ce corps, d’une nervosité rare. On l’avait proclamée la reine du bal.

Mais, à côté d’elle, le docteur en avait encore remarqué plusieurs autres, particulièrement cette mignonne Francisca, jeune fille à la physionomie idéalement poétique, avec des traits fins et nobles. Ses opulents cheveux noirs faisaient un admirable contraste avec le bleu foncé de ses yeux. Enfin, dans cette revue rétrospective, Jean n’oublia pas Marie Muller, pour laquelle il avait d’abord ressenti le plus vif intérêt. Elle paraissait si douce et si tendre. Sa nature délicate, presque frêle, le rose transparent de ses joues, l’éclat de ses yeux, quoique habituellement à demi voilés, donnaient à son visage, d’un ovale parfait, une expression infiniment touchante. Parfois, l’homme fort s’attache pour toute une vie à ces êtres qui semblent vouloir toujours remonter au ciel. Eh bien, ces souvenirs, si agréables qu’ils fussent, n’empêchaient pas l’esprit de Jean de retourner à la femme qui avait refusé de danser avec lui.

— Est-ce opiniâtreté de ma part ? se disait-il alors, sans trouver de réponse. Ou bien le rang qu’elle occupe, dans le monde m’aveugle t-il à ce point ?

À cette dernière question, il partit d’un éclat de rire. Décidément, il n’y a que l’amour, la passion pour vous rendre absurde. Lui, le fils de la pauvre cabane, qui, pendant dix ou douze ans avait gardé son troupeau de chèvres, sous les glaciers, avoir une