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jeune. Je ne pensai pas, au premier moment, que de détourner une institutrice de son devoir, c’était se rendre coupable, envers les parents des enfants qu’elle instruisait, d’une très grave indélicatesse. Donc, la raison à l’aide de laquelle il cherchait à justifier son départ, lequel avait bien l’air d’une fuite, n’était sûrement pas la bonne. Quelle était-elle ? Aujourd’hui encore, je ne la connais pas. S’agissait-il peut-être d’une dette de jeu qu’il n’était pas en mesure de payer ? Il s’engageait dans des paris formidables avec les seigneurs des environs. Ou bien avait-il tenté de se servir de cartes biseautées ? On doit plutôt admettre cette dernière explication, car il ne m’enleva que pour donner une teinte romanesque à sa disparition subite. Dans ce monde, en effet, se sauver avec une jeune fille est d’une audace superbe ; c’est presque un trait de génie qui fait honneur à l’homme qui l’exécute et lui gagne la majorité des suffrages. Sans doute il y avait bien aussi chez lui quelque passion ; pour mon malheur, je m’imaginai que c’était de l’amour. Je ne comprends pas encore à présent comment je ne résistai pas. Je lui criai même : Où tu iras, je te suivrai. Et c’est ainsi que je fus entraînée à commettre la première faute qui m’a fermé pour toujours les rangs des femmes honnêtes.

Malgré l’obscurité qui régnait, l’infortunée, après avoir murmuré ces mots, à voix basse, se couvrit le visage de ses mains comme si elle n’osait plus ni parler ni regarder le docteur Almeneur. Enfin, après un moment de repos, elle acheva sa désolante confession :

— Notre fuite réussit, et réussit grâce à moi, qui