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la patricienne

bre de la famille, je prenais part à tous les divertissements, variés et très nombreux. Auparavant, jamais une goutte de vin n’avait touché mes lèvres. Maintenant le grand-père de mes élèves mettait sa joie à me faire goûter les crus étrangers, particulièrement ceux de France, le champagne et le bordeaux. C’était jeter de l’huile sur le feu ; le sang courait plus vite dans mes veines. J’avais des chaleurs étouffantes, énervantes autour du cœur. Non, il n’est pas prudent que les enfants du peuple s’asseyent à la table des riches. Ceux-ci, semblables aux dieux immortels que chante Gœthe, se tiennent aisément sur leurs chaises dorées ; tandis que, pour nous, ces mêmes sièges reposent sur des écueils et nous sommes continuellement menacés de rouler au fond des abîmes…

Elle s’arrêta un moment, pour reprendre haleine. Le docteur garda le silence. Cette dernière remarque l’avait frappé : il ne parvenait pas à la chasser de son esprit. Ne s’appliquait-elle pas aussi à sa propre situation ? Il allait plus loin encore : il osait porter ses regards sur la hère patricienne.

L’étrangère continua :

— Un jour — ah ! ce fut mon malheur ! — arriva un nouvel hôte, l’homme que vous connaissez, Max de Rosenwelt. D’où venait-il ? Je l’ignore. Je ne veux pas l’accuser d’avoir eu recours à des ruses ou à d’habiles séductions pour éveiller et enflammer mes sens. Ils s’allumèrent seuls, dès la première rencontre. L’existence de luxe que je menais au château avait préparé le terrain. Il fallait bien peu pour me faire oublier ma timidité, ma pudeur de jeune fille. Si je dis qu’il fallut peu, c’est que j’eus plusieurs