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la patricienne

docteur qui vogue sur le lac, à droite et à gauche, sans but aucun. L’onde heureusement est très calme ; mais toujours, sous les arbres du jardin, l’odieux rival déploie toutes ses grâces et tous ses talents pour emporter d’assaut le cœur de la belle patricienne.

Et le docteur, s’imaginant peut-être que l’audacieuse conquête avait pleinement réussi, fit décrire, par un mouvement de rage, une courbe rapide à sa chaloupe et reprit la direction du bord. Sans qu’il s’en fût aperçu, il était allé très loin. Aussi le retour lui sembla-t-il d’une longueur sans fin.

Il approchait du port, ramant de toutes ses forces, le dos tourné au rivage, lorsque, derrière lui, il entendit la voix de Dougaldine. Elle parlait haut, en femme qui sait que ses mots blessent, sans pitié, comme si c’était dans sa destinée de torturer les cœurs qui lui sont le plus dévoués :

M. le docteur, hâtez-vous donc un peu de nous ramener la barque. Nous voulons, mes amies et moi, accompagner un instant M. de Rosenwelt.

C’était à devenir fou. À peine arrivait-il qu’elle s’en allait, pour suivre cet homme. Oh ! comme il le détestait, cet Allemand ! Et que faire ? Il n’avait qu’à se soumettre à cette fatalité qui avait l’air de se jouer si cruellement de lui. S’élançant donc sur le rivage, il passa en s’inclinant devant les jeunes filles. Celles-ci, du moins il crut le remarquer, l’observèrent avec des regards curieux et railleurs. Il tressaillit. Retrouvant immédiatement tout son courage, il osa demander s’il pouvait leur être utile pour descendre dans la barque. On accepta gracieusement ses services. Dougaldine, qui n’avait rien dit, dédaigna la