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la patricienne

qui, en hiver, ne faisaient que danser et patiner et, pendant l’été, jouer au crocket sous les ombrages de leurs maisons de campagne. Il se disait ces choses désolantes, le docteur Almeneur, en proie au même sentiment de colère et de jalousie qui s’était emparé de lui à son arrivée.

Tout en suivant le cours de ces pensées, qui n’étaient pas si roses que les sommets neigeux, le précepteur en vint aussi à songer aux misères sans nom que la vie humaine réserve parfois aux natures les mieux trempées, à celles-là que n’effraie même point la lutte quotidienne des intérêts et des passions. De quelle utilité lui était-elle donc, cette science profonde des choses et des hommes qu’il avait cherchée et trouvée dans les livres ? Il entrait à peine dans le monde et voilà que, la première fois qu’il est aux prises avec une difficulté, une situation difficile à dénouer, il ne sait déjà plus ni à quel parti s’arrêter ni commander à sa volonté. Cet insuccès valait-il bien le mal qu’il s’était donné pour acquérir les nombreuses et solides connaissances qui l’avaient fait remarquer de tous ses professeurs ? Et il n’osait répondre à toutes ces questions.

Mécontent de lui-même et éprouvant l’impérieux besoin de respirer l’air du soir, il quitta sa chambre et descendit vers le lac.

Il y avait deux barques dans le petit port de la villa : la chaloupe de M. Fininger et celle qui avait sans doute amené Max de Rosenwelt. Jean resta un moment indécis sur le rivage, les lèvres effleurées d’un triste sourire : non loin de l’endroit où il était, le même ramage de voix jeunes résonnait sous les