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LA PATRICIENNE

— Nous regrettons. Toute notre soirée est déjà prise.

Et avec quelle moue dédaigneuse, quel balancement de tête, ces mots étaient prononcés !

Les patriciens, eux, n’avaient pas ces scrupules, ni ces mièvreries. Il est vrai que, de tout temps, on a vu « des chevaliers » faire danser les filles de paysans et même chercher à gagner leurs faveurs, sans qu’on les accusât de déroger. Toutefois, à ce bal fameux, il en fut tout autrement. Mis en coupe réglée par la malice de leurs femmes et de leurs filles, ils ne purent, ce soir-là, vouer aucune attention aux petites bourgeoises, pourtant nombreuses et quelques-unes jolies à damner des saints.

La fatalité voulut que le docteur Almeneur échouât de même auprès d’une jeune patricienne.

Il l’avait remarquée dès le commencement de la soirée, lorsqu’elle était entrée dans la salle du bal. Elle pouvait avoir dix-neuf ans. Jean ne la connaissait pas. Il interrogea deux ou trois de ses amis, mais inutilement. Aucun ne savait son nom. Craignant de trahir l’intérêt qu’elle lui avait inspiré à première vue, il ne poursuivit pas ses recherches.

La jeune fille attirait irrésistiblement le regard. Sa toilette de bal, simple et riche tout à la fois, révélait un goût parfait. Une robe de soie blanche, d’un prix très élevé, moulait les contours exquis d’une taille souple et élancée. Il y avait une telle grâce dans tous ses mouvements que notre philosophe en fut vivement frappé. Tout en causant, on eût dit qu’un malin esprit animait ses traits, et, quand elle souriait, ses dents étincelaient ainsi que deux rangées de perles enchâssées dans un écrin de corail. L’éclat