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LA PATRICIENNE

ils aperçurent le lac à leurs pieds. C’était comme le décor d’un immense opéra, le tableau qu’ils avaient sous les yeux.

Le soleil était sur son déclin. Ses rayons pailletaient la nappe liquide de miroitements argentés ; et, insensiblement, au fur et à mesure que le jour tombait, ils allaient semant leur poussière d’or dans les arbres des forêts, embrasant les fenêtres des maisons et les parois des rochers à pic qui sont là depuis des siècles, comme des forteresses qu’une force invisible a élevées, semble-t-il, pour soutenir les géants de nos Alpes. Celles-ci, toujours immobiles, belles dans leur infinie splendeur, se couvraient de lueurs pourprées dont les teintes, pendant une heure ou deux, se modifient sans cesse, pour se confondre, tout à coup, avec la pâle clarté de la voûte stellaire. Et tous les êtres et toutes les choses de cette admirable création revêtaient un aspect vraiment majestueux. Ici, des ruines de vieux châteaux ; là, des villages perdus sous les bois ; sur le bord opposé du lac, une route hardie, où le génie humain a dû lutter contre la nature, sauvage et rebelle. Même les pauvres maisons assises nonchalamment le long du rivage avaient un air de gaieté et de poésie dans ce déploiement de lumières. Ah ! comme l’homme paraît petit au milieu de ce monde alpestre ! Et qu’elles sont mesquines, les misères qui nous font pleurer, ravagent, désolent et notre cœur et notre vie ! Ô ma patrie, que je t’aime sous ton pallium de neige, fière et indépendante, invitant tous tes enfants à vivre en paix et à travailler dans le vaste champ de l’activité humaine.

Ils étaient arrivés.