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la patricienne

cru, jusque-là, que la pauvreté était l’inséparable compagne de la tristesse et du malheur.

Mais, ce qui l’étonna plus encore, ce fut l’accueil, les manières et le langage des gens qui étaient à l’auberge. Ils disaient tout simplement « Jean » à son maître, sans autre forme de politesse.

— Ah ! tiens, c’est toi, Jean ! Tu es pourtant revenu chez nous.

Et on l’interpellait de tous les côtés ; on lui offrait aussi à boire. Tantôt c’était un jeune homme, de l’âge du docteur ; ou bien même la sommelière, vigoureuse fille dont les joues avaient des couleurs de rhododendron.

On s’était installé dans la salle du rez-de-chaussée, la chambre du premier étage, où les touristes prenaient ordinairement leurs repas, n’étant pas encore prête pour la saison. Au surplus, la chaleur du poêle, qui se chauffait par les fourneaux de la cuisine, n’était pas de trop à cette altitude. On leur servit donc à manger dans cette pièce, un dîner très simple, qu’ils arrosèrent d’un excellent vin du pays de Vaud. Tous les trois avaient bonnes dents et bon appétit. Si une personne du village entrait, Jean, pour se conformer à l’habitude, présentait son verre et on renouvelait connaissance. Le monde affluait dans la salle ; on savait que le fils du vieil Almeneur, une célébrité déjà, venait d’arriver. Et chacun voulait le revoir et le saluer.

On alluma les pipes, ces belles grosses pipes blanches, avec de naïfs dessins en émail, sujets figurant soit un chalet sur la montagne, soit une plantureuse fille au costume national. Peu à peu la chambre s’emplit d’une fumée épaisse, à la saveur très âcre,