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la patricienne

Amédée, quelque peu embarrassé, ne répondit pas. D’ailleurs, un instant après, le père du docteur sortait à son tour de la maisonnette, ayant vraiment meilleur air sous son nouveau costume, un frac, s’il vous plaît, de drap grossier, mais d’une propreté irréprochable. Il avait remplacé sa casquette par un chapeau haut de forme, légèrement usé aux bords, et, de la main, il s’appuyait sur une canne. Sa bonne figure respirait la rudesse naïve du montagnard et ne trahissait aucune gêne.

De même, Jean et Amédée oublièrent bientôt leur première impression. Car, tout en s’acheminant vers l’hôtel, le vieil Almeneur bavarda gaiement et avec la finesse d’esprit et d’observation qui caractérise les habitants de cette contrée. Il parlait un peu de tout, des misères de l’hiver, d’une institutrice qui était restée dans les neiges et qu’on avait dû retirer à l’aide de pioches et de pelles ; enfin d’un chasseur, dont les ruses, racontées avec verve, mirent les deux jeunes gens de charmante humeur. Voici la plus originale. Pendant la nuit, ce Nemrod plaçait, devant la porte de sa chaumine, un appât pour attirer les renards, qu’il reliait ensuite, par une ficelle ténue, à une sonnette fixée dans l’intérieur de sa demeure, près de sa couche même. Dès qu’un animal venait remuer l’amorce, le chasseur, aussitôt réveillé, n’avait plus qu’à sauter du lit, armer son fusil et ouvrir doucement la fenêtre, d’où il tuait souvent le renard. Ces histoires amusaient grandement le frère de Dougaldine. Cette jovialité de bon aloi lui plaisait, et il sentait battre un cœur sous cette rude enveloppe d’homme presque à demi sauvage. Il avait toujours