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la patricienne

vrant une vieille armoire d’où il retira bientôt une miche de pain, à la croûte sèche et dure et un pot de lait, au bord dépoli. Bruno, que la course avait affamé, tendait le museau.

— Père, fit le docteur, tu vas venir avec nous à l’Hôtel des Alpes, où nous pensons loger cette nuit. Tu peux bien, pour un jour, dîner deux fois, d’autant plus que je sois ici et qu’un bon verre de vin ne te nuira aucunement. De cette façon, il n’y aura pas de dérangement et nous pourrons causer tout à notre aise.

— D’accord ! répondit le père de Jean ; et tandis que celui-ci et Amédée sortaient de la pièce, tout heureux de se retrouver à l’air libre, le vieil Almeneur procédait rapidement à un changement de toilette.

— N’est-ce pas ? dit le docteur, avec une hésitation dans la voix et dès qu’ils furent de nouveau hors de la maison, les manières de mon père te semblent plus qu’étranges ? Que veux-tu ? Il n’a jamais quitté son village ; toute sa vie s’est écoulée dans ce pays de montagnes, pays sauvage qu’on aime toujours, malgré les misères et les privations qu’il vous impose. En outre, depuis plusieurs années, il est seul. Il y a longtemps, bien trop longtemps, que ma mère est morte. Elle repose là-haut, dans le cimetière près de l’église, après une existence de labeurs sans nom.

Ah ! pour dire vrai, il lui en coûtait, à Jean Almeneur, d’excuser en ces termes la rusticité de l’auteur de ses jours ! Ce n’était pas d’une pédagogie bien supérieure. Ajoutons toutefois, pour sa justification, que s’il parlait ainsi, c’était pour adoucir les teintes du portrait qu’on en pourrait faire à Dougaldine.