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la patricienne

l’endroit où la route commence à monter sensiblement, trois quarts de lieue plus loin.

Jean et Amédée avaient pris place à une table, devant l’auberge. Ils commandèrent du lait chaud, du pain bis et du beurre. L’air frais du matin avait excité leur robuste appétit.

Ils attaquèrent bravement ce second déjeuner, tout en s’amusant à regarder, de temps en temps, le spectacle qu’offrait à cette heure l’unique rue du village. Des garçons et des filles partaient d’un pas lent pour l’école ; une jeune paysanne, debout sur le seuil d’un chalet de belle apparence, jetait des grains de blé à tout un monde de poules et de poulets ; le facteur passait, clopin-clopant, avec son sac bourré de lettres, de journaux et de petits paquets. Leur premier travail accompli, quelques faucheurs rentraient des prairies cachées sous les forêts de la montagne ; une bonne odeur de soupe à la farine s’échappait de plusieurs portes entr’ouvertes, pendant que, au-dessus des toits d’un gris sale, montait paresseusement la fumée bleue des chaumières.

Tout à coup, le docteur entendit une forte voix d’homme résonner derrière lui, au rez-de-chaussée de l’hôtel. À l’accent, on reconnaissait aisément l’étranger. Il se plaignait du chiffre élevé de sa note. Cette voix n’était pas inconnue à Jean, du moins il s’imagina en avoir un vague souvenir. Une autre voix, cette fois la voix d’un enfant ou d’une femme, cherchait à calmer la personne qui formulait ainsi ses plaintes. Et bientôt, dans le rude langage de l’Oberland, l’aubergiste répondit. La jolie sommelière, qui venait de servir le maître et son élève, se mêla également à la dispute.